21 juillet 2022 | Publié par LIEUX MOUVANTS

Marc-André Selosse est professeur du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris et aux universités de Gdansk (Pologne) et Kunming (Chine). Il interviendra à Lieux Mouvants dimanche 24 juillet pour nous parler du sol : ce compagnon de vie que nous méconnaissons. Il accepté de répondre à quelques questions sur le sujet.

D’où vous vient cet intérêt pour les sols ?

Cet intérêt vient de mes études. J’ai une formation universitaire, mais on n’en parlait guère. Je suis « tombé sur le sol » d’une part grâce à l’École du Génie Rurale des Eaux et Forêts et aussi grâce à un cours de Claude Bourguignon. Il disait qu’il fallait considérer le sol de manière plus vivante. Étant mycologue par ailleurs, je me suis intéressé au mode de vie des champignons. Le champignon est un microbe fait de filaments microscopiques dans le sol. En tant que passionné de champignons puis chercheur, ça m’a projeté dans le « sol ». Il a fallu ce choc pendant mes études, j’ai réalisé que c’était très important et que ce n’était pas enseigné du tout. La cinquantaine venant, il m’était logique d’écrire un livre pour vulgariser l’une des choses les plus importantes que j’ai remarquée dans le monde et dont l’importance est inversement proportionnelle à l’attention qu’on lui donne.  

Quand on parle de sol, de quoi parle-t-on exactement ?

On parle de ce qu’il y a sous nos pieds, dont on ne voit que la surface. Le sol est fait d’éléments trop petits pour les voir à l’œil nu, et on le trouve sale culturellement. Sans doute car on enterre nos déchets et qu’on met nos morts là-dedans. Or le sol est le placenta de l’humanité, c’est de là que vient toute notre nourriture, des végétaux aux animaux qui les ont mangés. Et aussi une chose plus méconnue : le sol apporte toute la fertilité des eaux arrivant dans les mares, rivières, lacs et sur le littoral. Cette eau draine une partie de la fertilité qui est produite par la vie des sols. Au milieu de l’océan il n’y a presque rien à pêcher ni à manger, tout se passe le long du littoral là où arrivent les eaux des fleuves. Le sol est notre nourriture, même dans l’eau ! 

La fraction vivante qui vit dans le sol est absolument vitale. Elle ne représente que moins de 1% de sa masse, mais c’est elle qui est aux commandes. C’est elle qui attaque les roches et libère les éléments minéraux que les plantes vont pouvoir utiliser. C’est elle qui décompose la matière organique, libérant là encore des nutriments pour les plantes. C’est elle enfin qui utilise de l’azote gazeux pour faire de l’azote utilisable par la vie du sol. Certains champignons du sol aident les racines à collecter ces richesses ! 

Dans un hectare de chez nous, vous avez 5 tonnes de microbes, 5 tonnes de racines de plantes et 1,5 tonne d’animaux. Ce qui correspond à 150 et 250 moutons selon leur taille ! Le sol a une biodiversité majeure. 

D’après votre compréhension du sol, vers où se dirige t’on ?

On va plutôt vers des catastrophes, l’extension de nos villes fait disparaître l’équivalent d’un département français tous les 7 à 10 ans avec l’artificialisation des sols. Une loi programmant « zéro artificialisation nette » vient d’être votée : on ne pourra plus faire disparaître de sol en 2050. Mais déjà les maires de France s’en inquiètent alors que cet objectif est vital pour notre indépendance alimentaire. Il suffit de continuer comme cela si on veut retirer la nourriture de la bouche de nos enfants.

Aujourd’hui, dans la crise géopolitique actuelle, le fait qu’on ne soit pas autonome alimentairement donne ses premiers effets avec la hausse des prix. Culturellement nous ne sommes pas du tout prêts à accepter cela. C’est fini les pavillons, c’est fini les extensions des zones industrielles. Il faut repeupler les centres villes, densifier l’habitat pour des raisons énergétiques. Il n’y a pas le choix.

Par ailleurs, certaines pratiques agricoles ne sont pas adaptées. Elles sont productives à court terme, mais à long terme elles abîment le sol et risque d’affamer les générations suivantes. Un exemple est le labour qui augmente d’un facteur 10 l’érosion des sols. Le sol labouré fond sous nos yeux. Les sols de la Beauce s’érodent aussi vite que les sols alpins, qui eux ont la pente pour expliquer cela. Cela fait disparaître les sols physiquement. D’ autre pratiques abîment le sol : les pesticides et engrais font disparaître la vie qui s’y trouve et donc ce qui reconstitue à chaque instant sa fertilité.

Nos gestes agricoles, utiles à court terme, ont eu une vertu : la fin des famines. Mais il faut maintenant faire un inventaire raisonné et aller vers les formes d’agriculture alternatives. Elles existent déjà : agro-écologie, agro-foresterie, agriculture non labourée, agriculture de conservation des sols. Elles sont productives ! Certains ne veulent pas les accepter ou disent qu’elles vont affamer l’humanité alors même que l’agriculture actuelle crée les famines de demain.

Les grands incendies des Landes, et plus près de chez nous, l’incendie dans les Monts d’Arrée, est une catastrophe pour les sols, combien de temps pour qu’ils se régénèrent ?

Une fois de temps à autre, ça va. C’est une minéralisation rapide, un travail de décomposition à toute vitesse. Et la végétation revient, même si on a perdu la forêt pour un temps. Le feu fait partie de la dynamique des écosystèmes. Mais aujourd’hui ils deviennent de plus en plus fréquents et violents. On aura moins de forêt, on aura autre chose  – ce n’est pas pour rien qu’il y a de la savane dans certaines régions. L’altération des sols par des feux récurrents entraînera un changement de fertilité. Il y aura toujours des écosystèmes, mais le problème est de savoir ce que nos enfants arriveront à en faire.

Votre livre, l’Origine du Monde, est-il un appel urgent à changer nos modes de vie pour freiner le réchauffement climatique ?

C’est un livre qui sur 13 chapitres raconte combien le sol est beau et dans le 14ème chapitre, évalue les gestes qu’on fait et propose des perspectives pour faire différemment. Mais c’est avant tout une histoire naturelle. Il raconte comment marche le sol pour retrouver le mode d’emploi et notamment, oui, lutter contre le changement climatique car le sol contribue à faire le climat ! À quelques détails près, on n’a pas commis l’irréversible en matière de sol. Pour être positif, quand on comprend comment ça marche, il y a un grand espoir de ne plus faire de bêtises. L’intérêt des sols, c’est que ça se décide chez nous et que nous ne sommes pas dépendants des autres pays pour bien faire.