Jean-Christophe Salaün viendra nous faire part de son expérience de traducteur de littérature islandaise le dimanche 10 juillet à 14H30 au hameau de Saint-Antoine.
Nous lui avons posé quelques questions en préambule à cette rencontre qui s’annonce passionnante.
Comment devient-on traducteur de littérature islandaise ? Traduisez-vous d’autres langues ?
Je crois que, comme pour beaucoup de traducteurs littéraires, mon parcours est une succession d’heureux accidents. Je me passionne pour l’Islande depuis l’adolescence, mais faire de cette passion un métier me semblait impossible. J’ai entamé des études d’anglais à l’université de Caen, et en troisième année j’ai eu la chance de pouvoir partir à Reykjavík dans le cadre du programme Erasmus. Sans grande surprise, je suis tombé éperdument amoureux de l’Islande, et j’ai voulu rester. Grâce à une bourse du ministère de l’Éducation islandais, j’ai pu reprendre mes études à zéro et me consacrer entièrement à l’apprentissage de la langue islandaise. Pendant ce temps, la littérature islandaise est soudain devenue populaire en France, et Éric Boury, traducteur que j’avais rencontré au début de mes études, m’a beaucoup encouragé à poursuivre la voie de la traduction, car lui-même commençait à être débordé.
Étudiant, je ne savais pas vraiment quoi faire de ma vie. J’aimais l’Islande, j’aimais lire et j’aimais écrire. J’ai l’impression que les étoiles se sont en quelque sorte alignées d’elles-mêmes pour me mener au métier que je fais aujourd’hui.
Je ne traduis que de l’islandais, à l’exception d’un roman de Hallgrímur Helgason, auteur islandais mais qui s’était donné le défi d’écrire un livre en anglais.
Est ce que vous rencontrez les auteurs avant la traduction pour discuter de la tonalité du livre, par exemple ?
En général, le livre parle de lui-même, et je n’ai pas forcément besoin d’en discuter avec l’auteur, à moins d’avoir une question sur un point spécifique. Mais oui, j’ai rencontré presque tous les auteurs que j’ai traduits – parfois avant la traduction, parfois après, parfois avant même qu’il soit question que je les traduise. Ce sont toujours des moments privilégiés, qui rompent un peu avec la solitude inhérente au métier, et qui peuvent aboutir sur de belles amitiés.
Comment traduire l’humour d’une autre langue ? J’imagine qu’il faut s’adapter, notamment pour les jeux de mots, ou références inconnues par chez nous ?
C’est évidemment délicat, car l’humour est souvent intrinsèquement lié aux spécificités d’une culture, donc par essence intraduisible. C’est du cas par cas. Parfois, on ajoute un élément d’information pour expliciter une plaisanterie, même si c’est un jeu dangereux, car cela peut tuer le rythme du trait d’humour. Pour certains jeux de mots, on essaie de recréer quelque chose, on brode. Lorsque c’est absolument impossible, on déplace, on supprime et on recrée ailleurs. Travaillant majoritairement sur des romans, des textes longs, je peux trouver une sorte d’équilibre.
Mais parfois, j’ai aussi un coup de chance, et ce qui fonctionne en islandais fonctionne très bien en français ! Dans La Femme à 1000° de Hallgrímur Helgason, un roman très riche en jeux de mots et en trouvailles linguistiques, je me souviens du néologisme eysetumaður (composé à partir de ey, « île », et einsetumaður, « ermite »), qui décrit un ermite vivant seul sur une île, que j’ai traduit assez naturellement par « ermîle ».
Quelles sont les particularités de la langue islandaise par rapport à la langue française ?
L’islandais est une langue germanique qui, comparativement à d’autres, a assez peu changé au fil des siècles. Contrairement au norvégien, au suédois et au danois dont elle partage les racines, elle a conservé son système de déclinaisons et sa conjugaison assez complexe. Elle a aussi subi peu d’influences extérieures, on trouve par exemple très peu de mots d’origine latine. Les Islandais privilégient au maximum la création de nouveaux mots plutôt que l’emprunt à d’autres langues, même si, dans le langage courant, l’influence de l’anglais est grandissante depuis plusieurs années.
Les structures de phrases islandaises sont donc très différentes de celles qu’on trouve en français, et peuvent sembler un peu lourdes et redondantes dans une traduction trop littérale. L’islandais est généralement plus détaillé que le français dans la description notamment des mouvements. Cela fait partie des difficultés qu’on peut rencontrer dans la traduction.
Existe-t-il des mots difficilement traduisibles ?
Comme toute langue, l’islandais possède son lot de mots sans réel équivalent. Cela peut être des mots qui décrivent des spécificités locales (je pense par exemple aux spécialités culinaires), auquel cas on peut garder le mot islandais dans la traduction, en l’expliquant. Ou bien des phénomènes météorologiques courants en Islande, moins en France. L’islandais possède des tas de mots pour décrire la neige qui ne sont traduisibles en français que par des périphrases. Enfin, il y a d’autres mots charmants mais intraduisibles, comme gluggaveður, l’un de mes préférés, littéralement « météo de fenêtre », qui décrit un temps magnifique mais très froid, qu’il vaut mieux se contenter de regarder par la fenêtre !
La littérature islandaise est connue pour ses polars. Elle a pourtant une image de société idéale. Est-ce le révélateur que ce n’est pas tout à fait vrai ?
L’Islande n’est pas une société idéale, c’est un pays comme un autre, avec ses qualités et ses dysfonctionnements. L’herbe n’y est pas nécessairement plus verte qu’ailleurs. Des scandales de corruption continuent d’éclater régulièrement et ont beaucoup endommagé la confiance dans la classe politique, comme dans de nombreux pays. À côté de ça, certaines choses fonctionnent au contraire très bien.
Le polar permet souvent de mettre en avant les aspects les plus sombres d’une société, d’analyser ses travers, de questionner son histoire. Et peut-être ainsi d’éviter toute caricature. Il n’est pas nécessaire d’idéaliser l’Islande pour l’aimer.